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01/11/2017

Feu de tout bois de Murièle Modély, le délit buissonnier n°1, lu par Sanda Voïca

 

COUV 1.jpgDans ce recueil, Murièle Modély fait, encore une fois, en paraphrasant le titre, poème de tout bois. Chaque instant vécu devient poésie. Et quelle poésie : visions et épiphanies, sans cesse. Visions : « certains jours/la langue quitte la bouche/et se balade limace au-dessus de nos têtes » (cuisine). Vision apocalyptique dans voie basse. On pourrait même parler d’un livre des visions. Mais il y a des épiphanies aussi, et elles coïncident souvent avec les visions : le poème sommeil à citer en entier. Le quotidien, le passé (l’enfance) et le futur passés à la moulinette et réassemblés, avec quelques ingrédients : humour, voire dérision, lucidité, intelligence, maîtrise de la langue et dépassement du langage : «aujourd’hui, c’est la fête du couteau/c’est marqué en rouge à côté de la date/il y a la fête des mères, des pères/celle de la jupe, du voile/il y a aussi un jour/de l’amour/des morts/sans portable/sans voiture/sans électricité/la journée du lard ou du cochon/des seins/du saint des saints/des revendications, des recommandations/ de l’économie triomphante/du brame/des drames/des femmes/des hommes/(non, pas des hommes – question d’excroissance,/la case est trop petite)/vivre au fond/ n’est pas bien compliqué/il suffit de s’en tenir au mot du jour/composer décomposer, recomposer/une croix après l’autre/l’empilement des faits » (éphéméride)

La joie de vivre et celle d’écrire font un : « la porte n’est pas de barreaux/mon lit n’est pas un navire/je ne suis pas perdue/pensive/au milieu des eaux/ils balancent leur corps/leur joie franche/tranchante/contre ma peau ».

Mais le couteau, le poignard, le coutelas et surtout la lame, mais aussi les hachoirs sont de nouveau bien présents dans les poèmes : « c’est qu’une menace pèse comme une malédiction/sur toutes les filles, sous leurs jupons//quelque chose comme une main sournoise/qui appuie là où ça fait mal » (habitude). Et toujours, par-dessus tout : le corps de mots de l’auteur qui s’impose, qui s’incarne devant nous : « la dernière fois que les enfants ont vu grand-père/il ressemblait à un vieil arbre/allongé dans le lit […] les enfants intrigués par les battements d’ailes/collaient leurs corps de lait/contre mon corps de mots » (caresse). Les occurrences des mots qui parlent de la poésie, des figures de style, de jeux de mots, de l’écriture même, la conscience aiguë que la poésie est un animal vivant, et que c’est au poète de le faire venir au monde : « j’entends les grognements, je ne m’étonne plus/je sais que le temps vient pour eux, d’ouvrir leur ventre/d’y plonger les deux mains pour mettre bas le mot ». (velot).

La poète est magicienne dans ses journées, avec ses enfants et sa propre vie – et aussi avec les mots. Des doutes – sur la force réelle des mots, sur la « réussite » – viennent et s’en vont : « est-il possible/de prendre à bras le corps/réellement, puissamment/ces humeurs, ces cris stridents, ces corps bruyants/ces craquements du vivant/dont les mots sont – magie de l’abstraction/à la fois vides et totalement pleins » (brassée). Errance aussi : « parfois la langue est condamnée à dériver sans fin/adieu la côte, l’horizon est trop loin/la phrase ballotte puis soudain plonge/et vous mes vers, mes tendres, mes oblongues/atteignez des abysses la mémoire acide profonde » (holothurie)

Et sans trop s’étonner, car « il ne suffit pas de dire pour se comprendre /au creux des intestins, les souvenirs flamboient/faisant feu de tout bois » (héritage).

Sanda Voïca

 

Note de lecture parue dans la revue Paysages écrits n°28, octobre 2017

https://sites.google.com/site/revuepaysagesecrits/archive...

 

 

 

 

 

23/10/2017

Revue Nouveaux Délits n°58 (spécial Guatemala) - Vania Vargas

 

Deux des six poèmes de Vania Vargas publiés dans ce numéro bilingue, en collaboration avec Fuego del Fuego - http://fuegodelfuego.blogspot.fr/ - traduction de Laurent Bouisset. Lus par Cathy Garcia Canalès.

 

Hay días en que me acuerdo de Dios
de la cosas que tengo pendientes
de las veces que he creído encontrar
el amor
y que quizá tampoco me basten
cuando vuelva a topármelos
en una esquina cualquiera
y por última vez los escuche
cargar sus armas
a la altura de mi vientre
o de mi sien
y no quede historia
ni miedo
solo esta soledad
sobre el asfalto
hecha mil pedazos

 

*

 

La mujer compra flores cuando va camino a casa
y recorre con ellas las calles nocturnas

Mira los ojos que la miran
imagina las historias que le inventan

una abuela enferma
una declaración de amor
un poco de fe / una devoción

Y así transita medio camino
mudando de vidas y posibilidades
mientras los autos pasan a su lado
y ella le pisa los talones a su silueta
que se adelanta por banquetas anaranjadas
silueta de mujer sola
con ramo de flores en la mano

Entonces llega a casa sonriente
con sus flores y sus historias
y siente que su abuela mejoró
que sus oraciones serán respondidas
que alguien la ama

Enciende las luces / prepara el florero
lo observa un momento
y mientras termina la noche
enciende el televisor

Yo la observo de reojo
cuando paso frente a su ventana

El reflejo azul intermitente de la TV
lanza contra la pared su silueta temblorosa
silueta de mujer sola con florero
ha de esperar a alguien / imagino
mientras cierro mi puerta

Y como si ella intuyera mis pensamientos
apaga el televisor
se encierra en su cuarto con una nueva historia
y sonríe
como si esa noche alguien no tardara en llegar

 

(c) Vania Vargas

 

 

22/10/2017

Revue Nouveaux Délits n° 58 (spécial Guatemala) - Julio Serrano Echeverría

 

 

 

 

deux des sept poèmes de Julio Serrano Echeverría publiés dans ce numéro bilingue, en collaboration avec Fuego del Fuego - http://fuegodelfuego.blogspot.fr/ - traduction de Laurent Bouisset. Lus par Cathy Garcia Canalès.

 

Versions originales :

Ok,
nos vencieron.
Como si aún significara algo la derrota.
Como si a este valle de esqueletos
y carros viejos
aún le pudiéramos llamar desierto.
Para cuando nos dieron el golpe
el desierto ya no era desierto
los parques ya no eran los parques
ustedes seguían siendo los mismos
y nosotros,
a los que vencieron,
éramos la sombra de los cuerpos que los crearon,
la ceniza,
el polvo.
Nos vencieron,
caímos,
molieron nuestros huesos.
Pronto volverán a saber de nosotros

*

Entendemos
por los libros de geografía,
que los cuerpos en resistencia
que una dictadura lanzó a un cráter
en Centroamérica,
llovieron un día en Filipinas
sobre un cultivo de arroz
que alimentó a una familia completa
durante un largo período de lluvias
en la década de los setenta.


(c) Julio Serrano Echeverría

 

21/10/2017

Revue Nouveaux Délits n° 58 (spécial Guatemala) - Luis Carlos Pineda

 

 

 

Deux des neuf poèmes de Luis Carlos Pineda publiés dans ce numéro bilingue, en collaboration avec Fuego del Fuego - http://fuegodelfuego.blogspot.fr/ - traduction de Laurent Bouisset. Lus par Cathy Garcia Canalès.

Versions originales :

En Guatemala todos somos deportistas

Todas las personas sin excepción
nadamos y salimos a correr
todos los días.
Nadamos contra corriente
y salimos a correr riesgos.
Nuestro deporte oficial:
                                        la vida.


*

Un hombre sale de la peor cantina del mercado Colón,
Una mujer duerme en esa banqueta bajo el sol de marzo
a medio día,
El hombre se aproxima, se sienta y coloca la cabeza de ella
en su regazo,
El hombre saca con sus manos sucias —y las uñas más—
Un octavo de aguardiente y le da el salvador trago,
La mujer despierta,
Se sienta, lo observa,
El hombre saca de su saco hecho más de mugre que de tela,
Una flor fucsia, radiante y recién cortada,
La asquerosa ciudad cambia de color,
La mujer la recibe, sonríe, derrama una lágrima,
El hombre la besa, la abraza,
Se acuestan y se duermen.
—Yo camino,
Rascándome el amor—

 

(c) Luis Carlos Pineda

 

 

19/10/2017

Revue Nouveaux Délits n° 58 (spécial Guatemala) - Regina José Galindo

 

 

Pays pour les hommes, un des 11 poèmes de Regina José Galindo publiés dans ce numéro bilingue, en collaboration avec Fuego del Fuego - http://fuegodelfuego.blogspot.fr/ - traduction de Laurent Bouisset. Lu par Cathy Garcia Canalès.

 

Version originale :

País de hombres

Me niego a pensar que éste
sea un país para hombres

parí a una hija
hembra
y a ella
no le negaré su derecho de piso

mi abuela se lo ganó a punta de trabajos
mi madre a punta de putazos.

Yo
mi sitio me lo sigo ganando a diario
yo soy yo pienso yo decido yo hago yo gano yo reacciono yo acciono.

No saldré a la calle vestida de hombre para sortear el peligro
y no dejaré de salir.

No andaré siempre acompañada para evitar que me asalten
y no dejaré de andar.

No tomaré horchata en las fiestas para no merecer que me violen
y no dejaré de tomar.

Yo parí a mi hija en un país hecho para ella
y aquí quiero que crezca

con los ojos abiertos
la consciencia abierta
en pleno derecho de su libertad.

 

(c)Regina José Galindo

 

 

 

04/10/2017

Le numéro 58 lu par Murièle Murielle Compère-Demarcy

 

Merci pour la qualité de ces nouveaux Nouveaux Délits de poésie guatémaltèque en version bilingue-n°58

sans artifice, brut, sans décorum

 

où le coeur flambe

écoule ses charrois de sperme de sang de menstrues

battant, brûlant

cognant vivant

sur

"quatre mondes denses où se tord l'âme et la peau enfle" (Laurent Bouisset)

 

accroché à nos foyers en quête toujours

de péninsule "héliotropique"

 

pour que tourne

les sols tectoniques

du seul vrai réel à gueuler

pour ses mots dire

ses leurres-baudruches crever

sa lave telurrrrique

cracher

 

 

Merci.

 

Murielle

MCDem.

 

 

02/10/2017

Le numéro 58 lu attentivement par Frédéric Perrot

 

Il faut regarder la bête en face (sur Nouveaux Délits, numéro 58, spécial Guatemala)

  

Le numéro 58 de la revue de Cathy Garcia, Nouveaux Délits, ouvre ses pages à quatre poètes du Guatemala, présentés et traduits par Laurent Bouisset. Quatre poètes : deux femmes, deux hommes. Belle parité ! Il semble également que l’on puisse parler d’une même génération, les quatre poètes étant sensiblement du même âge.

Dans son édito, Laurent Bouisset nous précise que le Guatemala a le triste privilège d’être l’un des pays les plus dangereux du monde. Il sera donc beaucoup question de « l’humain face au pire » et d’une poésie exempte de cette « manie formaliste et hermétique de jouer sur la langue en permanence, en oubliant que la langue, c’est la vie ». Pour les avoir lus dans Realpoetik ou ailleurs, on connaît les arguments de Laurent Bouisset contre la poésie qui s’écrit ici, en France, dans cette noble patrie littéraire prétendue, qui a charitablement « réhabilité » son plus grand poète, un certain Charles Baudelaire, un siècle après l’avoir condamné dans une cour d’assises. À en croire Laurent Bouisset, les quatre poètes présentés dans ces pages ne sont pas spécialement menacés par les récompenses ou le prix Nobel ; idée amusante, si l’on songe que les deux derniers prix Nobel français (Le Clézio, Modiano) sont des écrivains surfaits, embarrassants et à plus d’un titre provinciaux ; les vivats cocardiers que l’on a entendus en ces occasions ne se justifiant pas du tout…

Ce que je veux dire par ce détour un peu long, c’est que la carte du monde poétique n’a sans doute guère à voir avec les cartes de la géographie officielle et l’importance supposée des nations. Laurent Bouisset en est convaincu. Partons donc en sa compagnie à la rencontre du Guatemala !

 

Je crois que parmi les quatre poètes présentés, la première, Regina José Galindo, est celle qui retiendra le plus immédiatement l’attention. Sa poésie est rageuse, violente, convulsive. C’est une poésie de refus (« Je me refuse à penser/que c’est un pays pour les hommes »), marquée par la guerre et portée par un féminisme frémissant. Face à la violence de ce qu’un sociologue nommait « la domination masculine », il s’agit pour Regina José Galindo de se réaffirmer en femme « toute puissante » et de n’être pas une « femme soumise/encore moins au foyer » ; ce goût de la liberté, ayant ses risques, acceptés : « Je ne sortirai pas dans la rue vêtue en homme pour éviter le danger /et je n’arrêterai pas de sortir ». Ou plus terriblement : «  Je ne me priverai pas d’alcool dans les fêtes pour ne pas mériter mon viol/et je n’arrêterai pas de boire ».

Ces lignes m’ont fait songer à ce que pouvait écrire il y a quelques années Virginie Despentes dans son essai King Kong Théorie, où des idées semblables, scandaleuses peut-être pour des esprits plus prudents, se trouvaient exprimées. En résumé : pourquoi les femmes devraient-elles rester chez elles, ne pas sortir, ne pas marcher dans les rues, ne pas porter des jupes courtes si elles en ont envie, ne pas boire, fumer, danser, flirter, et cela sous prétexte que les prédateurs rôdent et que le risque est trop grand ?

Il me semble ces deux auteurs nous disent chacune à leur manière cette vérité importante : la liberté des femmes fait toujours peur.

J’aurais quelques réserves personnelles sur la poésie de Régina José Galindo, qui par moments me semble un peu trop forcenée et d’une outrance problématique ; mais la critique « dialectique » si je puis dire – thèse, antithèse, synthèse – n’est pas mon propos ! Passons à la suite.

On retrouve chez le second poète, Luis Carlos Pineda, une même qualité de refus et l’ombre portée d’une guerre, d’un « génocide » qui a ensanglanté le Guatemala dans les années quatre-vingt du siècle précédent ; cela en particulier dans le beau poème consacré à la « nostalgie » et ce qu’elle peut avoir de dangereux et de mortifère ; quand elle est par exemple celle de « la légalité sinistre » ou celle « des dictateurs ». L’ironie probable des deux derniers vers (« Dis-moi quelle est ta nostalgie/Et je te dirai qui tu es ») ne doit pas nous tromper ; toutes les nostalgies ne se valent pas et la nostalgie peut être une prison : « Ils veulent nous enfermer dans la nostalgie/Pour continuer à profiter de l’ignorance »

Un autre point commun entre ces deux premiers auteurs me semble être une certaine crudité dans l’évocation du sexe ou plus précisément de l’érotisme pour Luis Carlos Pineda : « La jeune femme se caresse/avec les draps sales ». Cela n’est pas forcément le plus neuf, car on connaît également de ce côté-ci de l’Atlantique quelques poètes et poétesses dont les œuvres complètes se réduisent « à l’enregistrement de leurs orgasmes effectifs ou inventés », pour reprendre une expression de cet aimable sceptique qu’est Cioran. Il me semble qu’un peu plus de légèreté, d’humour, de distance s’imposeraient dans ces domaines. Cela n’est qu’un goût personnel et n’enlève rien à la beauté de ce « corps inconscient » qui « bouge/d’une manière quasi imperceptible » et dont « la cadence désigne » au poète « un cours/humide, tiède et anxieux ».

Mais laissons Madame rêver et passons à la suite ! Car le plus important à mon sens est encore à venir.

 

Quelques-uns des plus beaux textes de ce numéro 58 sont en effet selon moi à porter au crédit du troisième auteur, Julio Serrano Echeverria.

Le premier que je prendrai la liberté de nommer « Il faut regarder la bête en face », puisqu’il n’a pas de titre, m’apparaît comme un utile rappel à la lucidité. Les poètes, dont on fait un peu naïvement tant de cas, comme s’ils étaient une sorte d’humanité à part – certains en sont même convaincus ! – ne sont que des êtres parmi d’autres êtres et souvent ne valent pas mieux qu’eux : « il n’y a pas de mérite/à se regarder dans un miroir/et découvrir qu’on est une bête ». Ou plus justement encore : « il faut regarder la bête en face/il faut l’appeler par son nom/ce qui vient de se dérouler d’abject ici/tu aurais très bien pu y prendre part/ pas forcément du côté de la victime ». Donc, même si cela est déplaisant, « il faut se regarder soi-même en face », car chacun a « ce potentiel » en soi, d’appuyer sur « la gâchette » ou « l’accélérateur », de laisser d’un mot libre cours à « la bête ». Le plus étrange dans ce texte à la fois beau et terrible reste cette paradoxale demande de « pardon », qui tend à rendre le poème vertigineux : « il faut regarder la bête en face/et lui dire ton nom/la reconnaître/la regarder fièrement et lui demander pardon », « pour la simple raison que le pardon/est une des manières qu’a l’obscurité/de prendre forme humaine sous un arbre/où se faufilent les rayons du soleil levant ».

Sentiment de vertige, que confirment et approfondissent les toutes dernières lignes, dont je ne dirais rien, pour passer plus brièvement au second poème, que je nommerai « C’est un lieu commun ». D’apparence moins complexe, il est simplement superbe dans son évocation de ceux dont tout l’effort consiste à survivre jour après jour, qui voient « en rêve des chaussures neuves/des chaussettes propres/pour des pieds qui ne saignent plus » et s’accrochent tant bien que mal car « c’est un lieu commun de mourir tous/les jours ».

J’ai parlé des deux poèmes qui m’ont le plus touché, mais les trois derniers poèmes de Julio Serrano Echeverria – « La leçon », « L’ocote », « Nous comprenons grâce aux cartes de géographie »–, où se mêlent l’autobiographique et le politique, sont également remarquables.

Reste Vania Vargas, celle que je préfère, pour le ton qui est le sien… Car les convulsions poétiques, les cris ou « les ovaires » qui volent en éclats, peuvent lasser à la longue !

Par goût, dans la chanson, j’ai toujours préféré ceux qui murmurent à votre oreille, ne songent pas à vous agresser et sont donc d’agréables « compagnons de solitude ». C’est je crois ce genre de complicité qu’établit Vania Vargas avec chacun de ses lecteurs. Qu’elle parle de sa « grand-mère » ou de sa « peur » – pour une raison évoquée au début, la peur et la proximité de la mort, une mort toujours violente, sont un motif récurrent dans tout le numéro –, elle le fait sur le ton juste. Le poème sur la photographie de la grand-mère entre d’autres mains pourrait être atroce, larmoyant, pathétique ; il est étrangement léger, presque volatil : « Elle est sortie/elle a dansé », « Elle s’est rappelé sans tristesse sa jeunesse perdue », « Elle n’en a fait qu’à sa tête/elle les a amusés ». Et l’on a bien l’impression de voir même fugitivement « la gamine qu’elle avait été ».

Il y a ainsi des épiphanies, de fragiles miracles en poésie, qui sont rares ; car trop souvent les poètes eux-mêmes ne voient que des mots, non les êtres et les choses qui leur préexistent. Ils vous parlent de leurs « images » ; mais vous ne voyez rien, que des acrobaties verbales… Je vois cette « femme » qui « achète des fleurs en rentrant chez elle » et qui plus tard n’est plus qu’un fantôme, une « silhouette tremblante » que « projette contre le mur » « le reflet bleu intermittent de la télé ». Je vois cette autre qui « a 31 ans » « et plusieurs vies en moins », sur qui « la fatigue pèse » et qui « voit la solitude fermer des portes/effacer des visages ».

La poésie de Vania Vargas est concrète – en ce sens qu’elle est à la recherche du détail touchant – humaine et mélancolique ; et s’il y est essentiellement question de solitude, s’y devinent aussi un désir, un rêve d’amour : « Et comme si cette femme devinait mes pensées/elle éteint la télé/elle s’enferme dans sa chambre avec une nouvelle histoire/et elle sourit/comme si cette nuit quelqu’un était sur le point d’arriver ». Cela se passe au Guatemala et partout ailleurs…    

 

Nouveaux Délits, numéro 58

Illustrations Anabel Serna Montoya

 

par Frédéric Perrot

 

 

13/09/2017

Nouveaux Délits, le NUMÉRO 58 - Octobre 2017 - Spécial Guatemala

 

 COUV small.jpg

 

 

Pour l’édito de ce spécial Guatemala, je laisse la parole à Laurent Bouisset, grâce à qui ce numéro a pu se réaliser et qui a, entre autre, traduit tous les poèmes que vous allez pouvoir lire et, je l’espère, apprécier. Un très grand merci à lui, ainsi qu’à Anabel, sa compagne, qui a réalisé les superbes illustrations.                CG

 

 

Fuego del fuego. Feu du feu. Je ne me rappelle plus pourquoi le peintre guatémaltèque Erick González a décidé d'appeler notre blog comme ça... Une bière de trop a dû jouer... Pas très sérieux au début, c’est certain. Un peu une blague. Un délire au petit matin d’une nuit de fête sous les volcans... du côté d’Antigua... à moins que ce soit à Pigalle, dans un troquet... Tiens, si on faisait un blog ? Après, ça s’est mis en place à mesure. On a changé de direction souvent. Tordu les lignes, comme on aime tant le faire, en permanence. N’empêche qu’un axe fort est resté : celui consistant à faire passer de l’autre côté de l’Atlantique des textes. Des textes en feu qui n’ont jamais gagné le prix Nobel. Qui n’ont jamais été traduits ni mentionnés ici, au pays des Grandes Lettres et du vin rouge, mais qui enjambent athlétiquement les codes et barrières nationales figés pour nous parler de quoi au juste ? De l’humain face au pire. L’humain esseulé dans sa mouise, face à ses maîtres, avec quand même des différences sensibles : plus de la moitié des Guatémaltèques (sur)vivent au jour le jour très en dessous du seuil de pauvreté, dans l’injustice et l’inégalité terribles d’un pays croupissant sur le podium des plus dangereux au monde, si l’on en croit un classement les plaçant devant la Syrie et l’Irak, juste derrière l’Afghanistan, c’est dire... alors que la France fait plutôt figure de pays riche... pays du Premier Monde blasé où la poésie n’arrête pas de rappeler qu’elle n’est pas morte, c’est bien. C’est même très bien qu’elle ne décède pas. Ce serait encore mieux qu’elle recrache cette froideur. Cette manie formaliste et hermétique de jouer sur la langue en permanence, en oubliant que la langue, c’est la vie. Et la langue sans la vie, c’est du jambon gelé dans du formol. Pas de ça ici. Pas de chichi formel sur Fuego del fuego, ou presque pas. Du réel brut. De la réalité visqueuse abordée par les quatre auteurs aujourd’hui accueillis dans ce Nouveaux Délits spécial Guatemala, merci Cathy ! Merci pour l’espace et l’écoute ! Regina José Galindo, pour commencer sur les chapeaux de roue par de la lutte au corps furieuse et tendre. Luis Carlos Pineda, poète free-jazz, vient nous calmer au fond de rapides en furie où les notes fusent et les corps cherchent l’étreinte au bout de la nuit.

Julio Serrano Echeverría nous parle des migrants cheminant dans le désert (« en n’étant qu’ombre ») après avoir vécu l’horreur sur les trains traversant le Mexique. « Nadies », aurait dit Galeano, l’auteur uruguayen parti en 2015. « Nadies », c’est-à-dire « moins que rien » haïs par Trump, qui, la nuit, rêvent de haricots (présage de pauvreté, selon un dicton latino) ou de baskets neuves, luxe suprême... Et puis Vania... Vania Vargas parlant de la mort, si proche là-bas, à chaque coin de rue (plus de seize homicides par jour en 2010, et ce chiffre enfle...) Vania Vargas peignant la solitude et la voix des fantômes à l’oreille murmurant, tandis que ses poings fragiles cognent le vide. Et voilà que ce numéro se referme déjà... après avoir donné la parole à ces (seulement) quatre poètes nés après 1974. Génération comme on dit d’après guerre (arrivée sur terre juste avant ou, pour l’un deux, en plein milieu du génocide des années quatre-vingt). Pourquoi donc aussi peu ? Pourquoi ne pas en mettre plus ? Rechercher l’exhaustivité n’avait pas de sens... et puis c’est vrai qu’on peut aller se balader sur Fuego del fuego après, si on a encore faim ! Mais quatre, c’est déjà largement assez, quand y pense. C’est déjà quatre mondes assez denses où se tord l’âme et la peau enfle. Certains lecteurs auront peur, c’est possible. D’autres vomiront ou refermeront la revue vite. A la fin de certaines lectures, y en a qui viennent me demander, anxieux : « Pourquoi si noir ? Pourquoi si sombre tout le temps et pas des fleurs ? » Oh ben j’ai rien contre les pâquerettes ! Le printemps des poètes et tout ce délire... J’en vois pas tellement dans les quartiers-nord, c’est tout... J’en vois pas non plus des collines entières dans ce pays traumatisé où les os d’hier trouent la terre encore et crient. Tu voudrais peindre comment le ciel mignon et les pommes bio quand le réel a la douceur d’un matelas de clous rouillés sous ton dos sale ? Les chaussures qu’Anabel a peintes puent la défaite. Trouées, dégueues, râpées, elles gisent. En France, on les jetterait. On irait de ce pas en acheter d’autres. Là-bas, elles marchent. Elles continuent à marcher même usées, parce de toute façon, y a pas le choix. C’est ça ou tomber raide, alors tant pis. Avancer malgré tout. Les poètes qui nous touchent écrivent comme ça. Comme des grolles tabassées par les chemins, les coutures mal en point et tout près de la déchirure finale. Ce qui sort de ce harassement, les jours de fête ? L’émotion... La blue note... Le feu du feu dans les boyaux... Oui, c’est peut-être ça que raconte le nom du blog... C’est peut-être aussi simple que ça, au fond... Placez donc un seau d’eau à vos côtés avant de lire. On sait jamais ce qui pourrait flamber... A très vite. Saludos.

 

Laurent Bouisset, Marseille, le 13 août 2017

http://fuegodelfuego.blogspot.fr/

 

 

 Luis Carlos Pineda todos  deportistas SMALL.jpg

 

AU SOMMAIRE

 

Délit de poésie guatémaltèque en version bilingue :

 

Regina José Galindo

Luis Carlos Pineda

Julio Serrano Echeverría

Vania Vargas 

 

Résonances : Rancœurs de province de Carlos Bernatek (Argentine), éd. de l’Olivier, février 2017

 

Délits d’(in)citations font écho entre ici et là-bas.

 

Vous trouverez comme toujours le bulletin de complicité tout pimpant au fond en sortant.

 

 

Regina José Galindo dejen de disparar SMALL.jpg

 

Illustratrice : Anabel Serna Montoya

 

Née à Aguascalientes au Mexique au XXe siècle, elle vit actuellement à Marseille après avoir étudié l’art-thérapie en Espagne et travaillé comme enseignante d’arts plastiques au Mexique. Sa pratique artistique est multiple, allant de la photographie (argentique et sténopé de préférence) à la peinture à l’encre de Chine, en passant par la couture (de ses propres cheveux à même la toile, entre autres...), les ex-voto détournés dans un sens marxiste, le body painting ou encore les installations. Elle aime explorer les textures et les supports pour parvenir à l’émotion. Elle est à l’écoute permanente des autres et surtout des personnes exclues, que ce soit en pleine rue, en milieu psychiatrique ou en prison (les Baumettes à Marseille, par exemple, où elle a travaillé au contact des détenus). Elle aime l’art brut. L’art vital qui dérange et donne du feu. Déteste Facebook. N'a ni blog ni site personnels. Ne vend pas ses œuvres. S’avoue perplexe devant les biennales d’art contemporain (vides et froides souvent à ses yeux). Ses peintres préférés sont Toulouse-Lautrec, Van Gogh, Rivera, Bosch et surtout le Goya des peintures noires (celui qui déchire les carcans et va vers l’ombre). Dernièrement illustratrice d’un livre de poèmes : Dévore l’attente aux éditions du Citron Gare, elle prépare une exposition pour la deuxième nuit de la poésie à Crest, début février 2018 (à suivre).

 

 

 

Julio Serrano es un lugar comun  SMALL.jpg

 

 

Deux livres de pâtes de Métis

Une demi-livre de filet d’Espagnol

Cuit et haché menu

Une petite boite de raisins secs dévote

Deux cuillérées de lait malinche

Faire revenir des casques de conquérants

Trois oignons de jésuites

Un petit sachet d’or multinational

Deux gousses de dragon

Une carotte présidentielle

Deux cuillérées de commères

De la graisse d’Indiens de Panchimalco

Deux tomates ministérielles

Une demie tasse de sucre lunette de fusil

Deux gouttes de lave de volcan

Sept feuilles de zizi

(ne pense pas mal, c’est un somnifère)

Mettre le tout à cuire à feu doux

Pendant cinq cent ans

Et tu verras le résultat

 

Claribel Alegira

(Nicaragua, 1924)

 

 

Julio Serrano a Otto Rene  Castillo small.jpg

 

Nouveaux Délits - Octobre 2017 - ISSN : 1761-6530 - Dépôt légal : à parution - Imprimée sur papier recyclé et diffusée par l’Association Nouveaux Délits Coupable responsable : Cathy Garcia Illustratrice : Anabel Serna Montoya Traducteur : Laurent Bouisset Correcteur : Élisée Bec

 

http://larevuenouveauxdelits.hautetfort.com/

 

 

 

Le Délit buissonnier n° 2, est sorti en juillet

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Instantanés

de Myriam OH (Ould-Hamouda)

avec des illustrations de Silvère Oriat

 

Extrait :

 

« je me fous du temps qu'il fait
de ce que raconte la une des journaux
de ta manie de parler et y perdre celui que tu es
je me fous de ces combats
qui te font veiller tard ou bien lever tôt
le monde appartient à ceux
qui s'octroient le droit de le quitter un peu
je me fous de la pluie
je me fous du beau temps
de la morale qui frappe à ma porte
je me fous de tes paupières qui tombent
je me fous de l'ombre qui les souligne
pourvu que ton regard brille
assez pour que je m'y envoie en l'air »

 

 

 

Des textes qui bousculent, qui réveillent, qui claquent au vent comme le pavillon pirate de la vérité toute crue, une vérité pleine d'amour pourtant, car on ne peut aimer véritablement que ce que l'on accepte pleinement, sans décorum, sans artifice : la vie, les gens, ces autres nous-mêmes, tels qu'ils sont, tels que nous sommes.       CG

 

 

44 pages agrafées
tirage limité et numéroté

sur papier recyclé offset 90 gr - couverture calcaire 250 gr

 

10 € - port offert

À commander à l’Association Nouveaux Délits

Létou 46330 St Cirq-Lapopie

 

 

 

24/06/2017

Avis de parution : Instantanés de Myriam OH - Délit buissonnier n°2, juillet 2017

 

 

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44 pages agrafées

 

tirage limité et numéroté

sur papier recyclé  

offset 90 gr

couverture calcaire 250 gr

 

textes de Myriam OH (Ould-Hamouda)

  

 

Myriam OH (Ould-Hamouda) voit le jour à Belfort (Franche-Comté) en 1987. Elle travaille au sein d’une association pour personnes retraitées où elle anime, entre autres, des ateliers d’écriture.  C’est en focalisant son énergie sur le théâtre et le dessin qu’elle a acquis et développé son sens du mouvement, teinté de sonorité, et sa douceur en bataille — autant de fils conducteurs vers sa passion primordiale : l’écriture. Elle écrit comme elle vit, et vit comme elle parle. Les textes que vous trouverez au sein de ce recueil ont servi de matière première pour un spectacle joué le 16.06.17 à Belfort : une performance "lecture dansée et jouée", l’expérience originale d’une rencontre entre trois univers : le langage verbal, celui du corps et celui des cordes, une tentative de communication spontanée.

 

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« Se tenir au bord du gouffre. En attendant le pire, et surtout le meilleur. En y croyant si fort, que le vide n'existe plus vraiment. Se tenir au bord du gouffre, malgré le vertige qu'il nous colle parfois, malgré cette peur dans le ventre, et la tentation de l'abîme souvent. Comme une urgence à être soi-même à chaque instant et d'en rayonner dans les moindres recoins du monde. Au fond, si on la regarde droit dans ses yeux qui louchent, la vie n'est rien d’autre qu'une comédie dramatique. » 

 

 

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 illustrations de Silvère Oriat

 

Codeur web de l’extrême, Silvère Oriat s’est à l’origine mis au dessin afin de rendre plus attractifs les sites Internet qu’il crée. Au fil du temps, cette activité de “gribouillage“ a finalement commencé à prendre le pas sur le pianotage de clavier... Si bien, qu’aujourd’hui, il réalise des jeux de société, ainsi que du dessin en relief sur des objets réalisés de ses propres mains ; comme pour prouver qu’il parvient (presque) à s’affranchir du monde moderne pour s’exprimer. À côté de ça, il est également musicien (bassiste) au sein d’un groupe de musique, histoire que ses oreilles soient aussi usées que ses yeux.

 

  

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 Des textes qui bousculent, qui réveillent, qui claquent au vent comme le pavillon pirate de la vérité toute crue, une vérité pleine d'amour pourtant, car on ne peut aimer véritablement que ce que l'on accepte pleinement, sans décorum, sans artifice, la vie, les gens, ces autres nous-mêmes, tels qu'ils sont, tels que nous sommes.                                   cg

 

 

 

10 €

  

à commander à

Association Nouveaux délits

Létou

46330 St Cirq-Lapopie

 

 

 

 

 

 

 

 

22/06/2017

Nouveaux Délits n°57 - Grégoire Damon

 

Grand Corps Tremblote, un des poèmes de Grégoire Damon publiés dans le numéro d'avril 2017.

Lu par Cathy Garcia Canalès.